La Vie – 23/04/20 – Ehpad : “Certains résidents se sont laissés mourir de tristesse”

Valérie Régnier, la responsable de Sant'Egidio France, association engagée dans la lutte contre la pauvreté et le travail pour la paix, se fait l'écho du traumatisme subi par les enfants de personnes décédées en Éhpad. S'appuyant sur l'expérience de la communauté Sant' Egidio, elle propose de mettre en place des solutions différentes.

par Véronique Durand

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Ce fut un choc, que les mots ne traduisent pas toujours dans leur globalité. Et au réveil, la prise de conscience que le système a montré ses limites. Révoltée par notre incapacité collective à sauvegarder les vies affaiblies, Valérie Régnier a ajouté la semaine dernière sa voix singulière à celles des syndicats, directeurs d’Éhpad et autres spécialistes des questions du grand âge pour dénoncer avec force les situations vécues depuis le début du confinement par les résidents de ces établissements, publics et privés, et par leurs familles.

 

Faire renaître le lien à l’autre

« Les plus révoltés, ce sont les enfants des personnes victimes de l’épidémie, précise-t-elle. Du jour au lendemain, ils n’ont plus été autorisés à aller les voir, n’ont pas pu leur dire au revoir, et ont été prévenus par un appel téléphonique leur recommandant de prendre contact avec les pompes funèbres ! Certains résidents se sont laissés mourir de tristesse, car ils n’ont pas pu revoir leurs familles et leurs amis bénévoles qui leur rendaient visite depuis plus de 10 ans parfois. Ça fait mal », déplore-t-elle amèrement.

Elle ajoute ce témoignage terrible : « J’ai appris que le Samu ne se déplaçait pas toujours quand les aides-soignants appelaient au secours et qu’ils se retrouvaient seuls à soigner des personnes en train de s’asphyxier. Pourquoi les médecins généralistes qui ne recevaient plus en consultation, ne sont-ils pas allés dans les Éhpad ? Ne sommes-nous pas tous concernés par cette crise dont nous ne sommes pas encore sortis ? Tout le monde peut encore réagir, il ne faut pas se résigner ! On sait que la mise en oeuvre des visites, de nouveau permises, sera difficile, mais si on veut éviter d’autres victimes, il faut pouvoir rendre visite aux personnes avant qu’elles ne se laissent mourir. À 90, 100 ans, on a peu d’énergie, et la seule ressource c’est le lien à l’autre. Aussi faut-il absolument redonner de la vie aux Éhpad, et que les résidents voient de nouveau nos yeux. »

 

Trois pistes à explorer collectivement

Si les Éhpad semblent s’imposer sur le plan culturel comme le seul lieu pour finir sa vie, observe la responsable de Sant’ Egidio, il existe d’autres choix. Mais sommes-nous prêts collectivement à les porter ? « Ces enfants qui ont perdu un parent sont aujourd’hui disposés à entrevoir des alternatives à ces établissements. Si l’État, les départements et les maires s’y mettent, je ne vois pas pourquoi on ne trouverait pas un modèle économique ! D’autant que mettre une personne en maison de retraite coûte plus cher que d’organiser une assistance à domicile », poursuit-elle.

Elle plaide pour trois solutions développées par Sant’ Egidio, telles que les habitats de vie partagés, appelés « co-housing », qui s’adaptent au cas par cas, prioritairement aux personnes sans famille, argent ni maison. Deuxième préconisation : développer l’assistance à domicile et, si nécessaire, l’hospitalisation à domicile en formant des aides-soignants. Ce qui, de surcroît « crée de l’emploi » et s’avère un vecteur d’intégration pour de nombreux réfugiés. « Notre expérience sur le plan européen, à travers les couloirs humanitaires, a montré que cela donne des résultats. »

Enfin, elle aspire à voir fleurir les réseaux créatifs de solidarité tels ceux qui se sont déployés en Italie, après la canicule de 2003, pour lutter contre l’isolement social des personnes âgées. En réaction, Sant’ Egidio avec le ministère de la Santé avait lancé à Rome le programme Vive les aînés. Ce service repose sur l’implication des voisins, commerçants, gardiens, volontaires, en complément des réponses traditionnelles (assistance à domicile, services de résidence, etc.), pour protéger les personnes âgées de risques représentés par les vagues de chaleur, épidémies de grippe, chutes, perte du conjoint, etc. « Des solutions peuvent être généralisées sans créer des systèmes trop lourds, recommande-t-elle. On voit aujourd’hui qu’à l’échelle d’un quartier, d’une cage d’escalier, des réseaux d’entraide se mettent en place, et créent du lien. Ça fait du bien à tous ! »

 

Sant’ Egidio est une communauté chrétienne fondée à Rome (Italie), en 1968, par Andrea Riccardi, et présente actuellement dans plus de 70 pays. Pour aider les plus fragiles pendant la pandémie elle a mis en place un numéro de téléphone solidaire : 0 970 403 320 (non surtaxé).

 

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